Homélie du jubilé du chanoine Brehier

31 mars 2021

Homélie prononcée le 29 juin 2020, pour le jubilé du chanoine Brehier

Il y a quarante ans, le 29 juin 1980, Mgr Raymond Bouchex, m’ordonnait prêtre en cette métropole. C’est avec respect et reconnaissance que je prononce son nom.

40 années ! Dans la Bible, ce chiffre symbolise la durée d’une génération, le temps qu’il faut pour faire un chercheur selon le coeur de Dieu. C’est le temps de la maturation, du façonnage du coeur humain par l’Esprit saint. Ce chiffre 40 peut marquer aussi un achèvement et un renouveau dans la conversion, qui n’est pas que rejet du péché, mais avant tout plongée dans un plus grand amour. A cette étape de ma vie sacerdotale, je peux dire, en vérité, que ces mots ont pris du sens, du poids, du prix, du relief. Et si je tiens à marquer davantage cet anniversaire, c’est pour reconnaître l’œuvre de Dieu et lui rendre grâces. 

Ma vocation est un choix de Dieu. Elle manifeste sa fidélité. Cette fidélité de Dieu, assure au pauvre pêcheur qui lutte loyalement contre ses propres faiblesse, sa véritable fidélité sacerdotale. Le pape François résume bien cela : « Dieu re-créé. Une re-création nouvelle : Telle est sa fidélité avec nous.... La fidélité de la gratuité et de l’abondance ». J’ai expérimenté cette fidélité de Dieu dans sa patience et la merveille de sa pédagogie. Il est le chemin, en même temps que Celui qui enseigne sur le chemin. Je peux dire désormais par expérience, que la vie sacerdotale est à un titre particulier un grand chemin d’Emmaüs. J’ai conscience des prévenances de Dieu dans ce qu’il a construit en moi. La recherche d’union à Lui, produit une constance que de nous-mêmes nous serions incapables de trouver. Notre fidélité est toujours la réponse à cette fidélité première de Dieu qui nous enveloppe et j’insiste, nous enseigne. Au fond, j’arrive à dire que Dieu croit en nous, bien plus que nous ne croyions en Lui. 

Ces quarante années sont marqués par le témoignage de frères prêtres, dont Dieu s’est servi comme indicateurs sur ma route. J’évoque avec émotion le chanoine Goffard qui m’a baptisé sur la terre des saints martyrs numides : Jacques et Marien. Mgr Urtassun qui m’a confirmé, Mgr Polge qui a suivi mes premiers pas vers le sacerdoce, Mgr Bouchex qui m’a ordonné. Le chanoine Rieu qui avait tant de dévotion aux saints d’Orange : Saint Eutrope (un de mes grands amis au ciel), saint Florent, les XXXII bienheureuses martyres..... Les abbés Rivaud, Escalier, Point.... Mais surtout Mgr Reyne. Avec lui, nous avons beaucoup écrit sur l’histoire du Diocèse. J’ai pu utiliser largement sa riche bibliothèque. Il me permettait d’aller travailler sans soucis matériels aux archives capitulaires ou Départementales, à la Bibliothèque Ceccano.....Ce qui aurait pu n’être qu’une détente, il m’apprit à en faire un instrument pastoral. Car là est bien ce que je lui dois : Œuvrer dans une Église qui associe toujours Foi et Culture. Savoir regarder les choses de la vie, par des références immédiates à l’intelligence, au bien, au beau, à la vérité, à la foi. Enrichir sans complexe et fortifier le présent par l’enracinement dans l’Histoire. Il m’a montré comment tout rapporter à Dieu et le répandre. 

En pensant à ces grands ainés, en lien avec mes confrères d’aujourd’hui, je dis la joie d’être prêtre. Les épreuves n’ont pas manqué comme l’incendie de l’église de Valréas, le drame de Vaison qui faillit me perdre, les inondations de la Barthelasse.... et elles ne manquent pas. Ce n’est pas une raison pour perdre le secret de la joie d’être prêtre. Cette joie profonde ne vient pas d’un statut temporel, de succès apparents. Non, elle vient d’une prise de conscience du travail de la grâce dans les sacrements et les actes du ministère, à commencer par leurs fruits pour le prêtres lui-même. La transformation secrète du cœur et de la volonté que Dieu investit peu à peu sur le chemin du quotidien. La rencontre et la reconnaissance de cette marche de Dieu avec nous. La force aussi qu’il donne devant les critiques, les incompréhensions, ses propres erreurs, mais surtout l’acceptation franche dans sa vie de la Parole de Jésus : «  Vous serez des signes de contradiction ». Ce qui ne veut surtout pas dire que toute opposition est signe de la vérité dans laquelle on prétendrait être ! Accepter la voie du sacrifice et de l’humilité, vérité sur soi-même, c’est entrer dans la fécondité sacerdotale. La Croix en est la clef d’or. Vouloir suivre le seigneur envers et contre tout, c’est l’imiter et transmettre la joie de la Visitation à tous ceux que nous rencontrons sur le chemin du ministère. Et là, que d’action de grâces pour le travail de la Grâce dans les âmes ! Y percevoir le mystère de Dieu, l’ajustement de sa vie qui en est la conséquence, est un bonheur indicible ! 

Cette célébration est une hymne au sacerdoce. Etre l’instrument de l’action divine, il n’y a rien qui humanise plus notre terre ! «  Si l’on comprenait bien le prêtre sur la terre, on mourrait non de frayeur, mais d’amour » disait le saint Curé d’Ars. J’aurais voulu approfondir cette réalité davantage encore, car il y a là, un trésor. Je me réfère en premier à ces rencontres avec mes frères prêtres du presbytérium d’Avignon. Je pense aussi à ces milliers de rencontres personnelles ou en groupe, les baptêmes, mariages, funérailles, moments privilégiés d’accompagnement des familles dans la joie la peine. Que de visages et de noms au coffret de mon coeur, jusqu’à ma fin corporelle : Mes parents et tout ce que la rude vie militaire nous a enseigné, à ma sœur et mes frères. Mme Rassat, Melle Coste, Mme Serres, Mme Aubanel, Mme Fournier, Mme Dalon, Mme Carré, Mme d’Alauzier et tant et tant d’autres.... Et puis, ce que je vis aujourd’hui avec vous, la communauté des soeurs de l’Incarnation, les fidèles qu’affectueusement je pare du titre de « Métropolitains  » et en ce lieu de réputation mondiale, les milliers d’anonymes, visages rencontrés un jour, dans l’espérance de les revoir à la table du ciel

« Le sacerdoce, c’est l’amour du coeur de Jésus » disait le curé d’Ars. cela ravive en moi l’image de ce Christ bon pasteur avec ses petites brebis, qui était dans la chambre de mes grands parents maternels. Ce contexte familial, j’en mesure l’importance et l’influence : Surtout le souvenir de mon oncle maternel, l’abbé Domenico Tallarida qui mourut de la grippe espagnole ou du côté paternel, le lien avec la famille Mauduit, qui donna un martyr à Paris, en septembre 1792. 

Maladroitement quelques fois, (mais je crois pouvoir dire du meilleur de moi-même, bien souvent) j’ai essayé de répondre à ce que l’Église attend de ses prêtres : Instruire des vérités de la foi, donner le pain de la Parole de Dieu, veiller à ce que l’Eucharistie soit le centre de la vie de communauté, prier, faire prier, favoriser l’entraide et la justice, visiter le Christ dans les malades, soutenir les familles et accompagner les petits dans une vraie paternité spirituelle. 

Les laideurs que l’on peut rencontrer dans l’Église, mais pas seulement en Elle, m’imposent ce mot du curé d’Ars :« Si je rencontrais un prêtre et un ange, je saluerais le prêtre avant de saluer l’ange ; Celui ci est l’ami de Dieu, mais le prêtre tient sa place  ». Je dis cela pour souligner la grandeur du sacerdoce. Le prêtre doit servir l’expérience de foi de ceux que l’Eglise lui confie. Ne pas chercher à plaire, mais à être. Ne pas rechercher non plus l’unique efficacité de bonne gestion humaine et matérielle. On est perdant d’avance ! Par grâce, cet enracinement en Dieu, m’a permis d’aller aux marges humaines et de fortifier des âmes en souffrance. 

J’ai été heureux de pouvoir travailler avec des laïcs qui m’ont aidé à tout recentrer sur le Christ. Qu’ils soient déjà au ciel ou sur la terre -présents ici même- ces précieux collaborateurs m’ont fait expérimenter la simplicité, l’esprit de service gratuit, la vérité de l’engagement, le sens de l’Eglise, le service des hommes dans ce temps qui est le nôtre. Et là, que me soit pardonné ce qui aurait pu manquer au blesser dans mon action et que je n’aurais pas voulu. 

Il m’a été donné, au sein de la Commission Diocésaine d’Art sacré, de la Conservation des trésors ou comme Custode des reliques des saints du diocèse, de travailler en collaboration avec les responsables des services de l’Etat, des municipalités, les politiques et les artisans. Je leur dis merci, mieux, je les confie à Dieu. L’Eglise a une place particulière dans la cité, surtout par le patrimoine qu’elle a suscité au long des siècles. Par lui, mais pas exclusivement, elle apporte humblement et résolument la part qui est la sienne dans la construction d’un mieux-vivre, d’un mieux-être. Elle l’a fait dans le passé. Le contexte social et moral actuel, n’en souligne que mieux la nécessité et l’urgence pour aujourd’hui. Orienter les êtres par le regard qui s’élève, afin que chacun perçoive, au moins un peu, la richesse de la vie en Dieu exprimée dans l’Histoire, les arts sous toutes leurs formes, le trésor de la tradition spirituelle, le véhicule de sagesse et d’expérience que sont les langues latines ou provençale. Voilà qui conforte la perception de notre propre mystère ! Cette visée a été la mienne dans toute mon action pastorale, à Pertuis, Valréas, le secteur de Villedieu, saint Romain en Viennois, Faucon, Puyméras, le centre Ville d’Avignon, Carpentras et la Métropole. 

Comme bouquet final, je veux me référer à la Gemma Sabaudiae (La pierre précieuse de Savoie ) : saint François de Sales qui, avec cette classe qui enchante toujours, résume tout ce que je voudrais dire : "C’est le grand bien de nos âmes d’être à Dieu et le très grand bien de n’être qu’à Dieu. Qui n’est qu’à Dieu ne se contriste jamais, sinon d’avoir offensé Dieu et sa tristesse pour cela se passe en une profonde, mais tranquille et paisible humilité et soumission, après la quelle on se relève en la bonté divine par une douce et parfaite confiance, sans chagrin ni dépit". 

Je vous remercie d’avoir été là, sans oublier ceux qui n’ont pu venir. Mon regard se porte sur vous tous afin que je puisse dire à chacun : « Haut les cœurs, haut les âmes ». Voilà la base solide ou je veux, toujours plus, vivre et donner Dieu, pour la part humaine du sacerdoce. Diligo Te, Domine, fortitudo mea, firmamentum meum, ex toto corde meo. (Ps XVII).