L’apparition du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie d’Eugène Devéria

9 février 2019

Conférence du Chanoine Daniel Brehier, recteur de la Métropole, prononcée le jeudi 24 janvier 2019.

 

Transfert d’une œuvre d’Eugène Devéria à la Basilique métropolitaine Notre Dame des Doms : L’apparition du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie (C. 1840)

 

C’est un évènement rare auquel il nous est donné de participer. Au point que l’opération du transfert et l’installation d’une œuvre importante d’Eugène Devéria à la basilique métropolitaine, a été suivie de très près par les services de l’État. Non seulement ceux-ci ont activé sa protection au titre des monuments historiques, mais en plus, ils ont financé l’opération générale de déplacement à la Métropole, à hauteur de 40 pour cent.

C’est à l’initiative du Chapitre des chanoines de Notre Dame des Doms, que les sœurs capitulaires du monastère de la Visitation Sainte Marie de Sorgues, ont donné cette œuvre à l’Association Diocésaine pour la Métropole. Comme l’atteste le registre de ses délibérations 2010-2011, tenu par Mgr Reyne, le Chapitre a joué son rôle de gardien de mémoire de notre diocèse en faisant la demande de cette œuvre monumentale, ainsi que d’un bas relief miraculeux de Notre Dame de Prompt-secours (déjà installé en la basilique). Il y a aussi la relique du drap que saint François de Sales utilisa lorsqu’il séjourna à Avignon, dans l’auberge de la Croix, à la Carreterie. Une précision : Avant la révolution française, ce drap, passé aux mains du fils de l’hôtelier, devenu chanoine, se trouvait sous le contre-autel en bois doré, dans le chœur même de la métropole. Sauvé du pillage en 1793, il fut remis aux Visitandines, à la Restauration. Il est déposé désormais dans la confession de l’autel majeur. Pour la circonstance qui nous rassemble et en ce jour de la fête de saint François de Sales, ce drap est exposé dans le chœur. La mère fédérale de l’Ordre, confirma ces dons importants par une lettre adressée à l’archevêque, le 10 mai 2010.

La présence de la Visitation a profondément marquée la vie religieuse avignonnaise, surtout dans le contexte tridentin, d’une ville appartenant au saint Siège. Saint François de Sales s’arrêta à Avignon en novembre 1622 et il confia à une religieuse de sainte Praxède : «  Ma mère, l’institut (de la Visitation) est petit et encore faible. Mais on peut, en l’observant bien, arriver à une grande vertu. Dieu exaucera votre souhait et nous aurons, dans quelques temps, deux de nos petites ruches dans cette pieuse ville  ». De fait il y eut deux monastères de la Visitation à Avignon. Le premier, fondé par Lyon-Bellecour, en 1624, rue Philonarde, avec Mère Marie-Claire de la Balme, comme première supérieure. Sainte Chantal y vint en 1636 et Saint Claude la Colombière y prêcha en 1666. Il y avait aussi le second monastère dit de «  Saint Georges  » situé rue saint Michel. 

Pour ces deux monastères, les religieuses commandèrent le tableau de leur maitre-autel à Nicolas Mignard. Vers 1640-45 pour le premier, (Œuvre actuellement au Palais des papes) et après 1648 pour le second (chapelle des pénitents noirs). Chassées par la révolution, les Visitandines revinrent à Avignon en 1823 et s’installèrent rue d’Annanelle, dans ce qui restait du couvent des «  Grands Capucins  ». Elles firent tout, pour récupérer leur Mignard, déclenchant même une procédure auprès du roi. Mais en vain. Aussi, se préoccupèrent-elles par la suite de commander un nouveau tableau pour le maitre autel de leur chapelle.

Je crois que l’on peut rattacher la commande de l’apparition du Christ à Marguerite-Marie, visitandine de Paray le Monial, à Eugène Devéria, dans le contexte de la restauration du monastère rue d’Annanelle, après la catastrophique inondation du Rhône de 1827. Les eaux inondèrent le monastère durant 8 jours. L’église souffrit particulièrement. Elle devra être reconstruite mais ne sera inaugurée qu’en 1834. «  Le concours des bienfaits fut important  », nous disent les chroniques. Dans ce contexte de dons et d’aides diverses, nous trouvons une note, non datée, hélas, de la main même de Devéria, dans laquelle il écrit : «  Le soussigné déclare offrir en don au couvent de la Visitation sainte Marie, un tableau représentant le Sacré Cœur de N(otre) S(eigneur) - Eugène Devéria  ». On peut lire sur l’enveloppe contenant le billet de donation : «  Peint avant 1840  ». Le contexte spirituel est aussi à rappeler : Marguerite Marie est déclarée vénérable, par le pape Léon XII, le 30 mars 1824. Elle sera béatifiée par Pie IX, le 19 août 1864 et canonisée par Benoit XV, le 13 mai 1920. Toutes ces étapes accompagnent un développement extraordinaire du culte envers le Sacré-Cœur de Jésus, symbole de l’amour de Dieu pour les hommes, dans toute la chrétienté. L’œuvre qui arrive à la Métropole en est une manifestation évidente. 

Cette œuvre monumentale (5 m 12 sur 3 m 52) sera transférée du monastère de la rue d’Annanelle, au domaine moins inondable de Guerre, à Sorgues, acheté à la famille Talavigne-Mistral, en 1944. Le grand Devéria, fut installé au dessus de la grille du chœur. Il avait été heureusement préservé quand les bombes détruisirent en grande partie le monastère intra-muros d’Avignon, le 25 juin 1944. 

Outre ses mesures peu ordinaires, la force de cette œuvre, ou le peintre tente de rendre l’émotion de l’expérience spirituelle, la situe d’une manière caractérisée dans le courant romantique. Théophile Gautier, ami d’Eugène disait que «  Le Romantisme était chez lui chez les Devéria….   ». Eugène est emblématique de ce mouvement artistique, avec une particularité de coloriste. Sur notre tableau, et en référence à la grande apparition de juin 1675, sainte Marguerite-Marie est représentée en adoration, avec le Christ qui lui montre son cœur. Manifestement Devéria, prend le parti de renouveler l’iconographie du Christ, dans son attitude, son visage et surtout la coiffure courte  ; les vêtements, notamment les couleurs (blanche et rose). 

Ce qui est à remarquer, c’est que le peintre a voulu situer la scène dans l’arrière fond de la chapelle qu’il venait d’achever à la métropole Notre Dame des Doms. On peut reconnaitre, au bas de l’œuvre, la table de communion en marbre blanc, remise en place dans les années 1980, par Mgr Reyne  ; une des deux lampes de sanctuaire, encore présentes  ; et en arrière plan, mais très reconnaissable, la scène de la Visitation, que le peintre réalisa, coté droit de la chapelle, en août 1839. (Avec son pendant, la présentation au Temple, le plan iconographique se référait certainement aux deux fêtes institués par le pape d’Avignon, Grégoire XI.

Devéria, qu’on a pu surnommer «  le Véronèse français  », naquit à Paris en 1805, dans une famille d’artistes. Il fut l’élève d’Achille, son frère qui le fit entrer aux Beaux Arts de Paris, sous la direction de Girodet Trioson et Guillaume Guillon Lethière. En 1827, il expose une monumentale naissance d’Henri IV qui connait le triomphe. Il reçoit de nombreuses commandes officielles, pour la décoration du Louvre, de Versailles, ND de Lorette à Paris. 

En 1838, Il entreprit la riche décoration peinte de la chapelle latérale nord de la Métropole Notre Dame des Doms, que l’architecte Renaux venait de reconstruire à la demande de Jean Marie Celestin Dupont, archevêque d’Avignon de 1835 à 1842. La thématique était mariale en raison du projet d’y placer la statue de la Vierge de Pradier, avec un changement eucharistique, quand la chapelle sera finalement réservée à la sainte Réserve. Aux termes d’un contrat signé le 21 juillet 1837, avec l’archevêque, l’artiste devait d’ailleurs décorer tout l’édifice de peintures évoquant les mystères de la foi et l’histoire exceptionnelle de ce lieu, si lié à la grande période pontificale du XIV ème siècle. L’ampleur du projet, des difficultés liées à sa santé, l’état du bâtiment en pleine rénovation, des motivations personnelles, lui firent abandonner le travail. Il fournit cependant quatre compositions sur toiles, qui devaient achever son œuvre dans la fausse nef gauche, dite «  Chapelle de Florès   » du nom du second archevêque d’Avignon. La fuite en Egypte, de loin un des meilleurs tableaux de Devéria  ; La présentation de la Vierge au Temple (1851) et l’adoration des bergers, peinte à Edimbourg en 1852 et le reniement de saint Pierre. Il se retirera à Pau avec sa famille ou il décèdera le 3 février 1865, à l’âge de 59 ans.

Ses œuvres se trouvent aux musées du Louvre, des châteaux de Versailles et de Trianon, celui de Pau, les musées des Beaux-arts de Pau, Angers, Besançon, Clermont-Ferrand, Dijon, Noyon, Montpellier, Toul, Tours, Autun, Houston, au Métropolitan Muséum of Art de New York,

L’installation de l’apparition du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie vient compléter l’ensemble de la métropole, due à Devéria. Le transfert et la présentation définitive de cette œuvre en face de la chapelle qu’il a entièrement décorée, lui répond «  en abime  ». La métropole accroit son potentiel d’art, d’histoire et de foi, dans ce bel et large ensemble de peinture romantique.

Comment ne pas évoquer la mémoire et saluer l’initiative de l’archevêque Mgr Dupont (1835-1842), qui pour restaurer sa métropole ruinée par la révolution, n’hésita pas à recourir aux plus grands maitres de son temps, comme James Pradier pour la Vierge de marbre de ND des Doms et bien sûr, Eugène Deveria. 

Et voici un moment bien agréable. 

Nous devons remercier : 

 la Visitation Sainte Marie, d’avoir voulu conserver au patrimoine du diocèse d’Avignon, cette œuvre d’un intérêt qui n’échappe à personne, particulièrement la dernière prieure, Mère Anne-Sophie et la fédérale, Mère Chantal. 

Le vénérable Chapitre Métropolitain, qui veillant sur la Métropole depuis le IXe siècle, a suivi le projet et l’a financé en grande partie, grâce à une gestion rigoureuse. Nous lui associons, comme il se doit, les services diocésains qui ont validé cette opération qui fera date. Les religieuses et les laïcs de la Métropole qui ont contribué à la remise en état de l’église, après les quatre jours de travaux nécessaires à cette belle opération. Avec nos organistes, ils assurent le suivi ordinaire de la vie à ND des Doms. 

Les services de la Direction Régionale des Affaires Culturelles qui ont immédiatement soutenus le projet, l’encourageant et intervenant même au niveau financier, généreusement. Je dois à la vérité de souligner l’engagement sans faille de Mr Pierrick Rodriguez, conservateur des Monuments Historiques pour le Vaucluse et Mme Valérie Claudon, son assistante, si efficace dans le montage des dossiers administratifs. L’opération d’aujourd’hui incarne la direction donnée par la conservation régionale, ligne qui se raffermit de plus en plus chez nous, pour une meilleure connaissance, protection et valorisation du patrimoine. Dans cette optique, se fortifie une volonté de collaboration entre les différents intervenants  ; Grandit un respect mutuel de chacun, dans ses responsabilités propres. Pour la part qui est la sienne, la Métropole poursuivra avec la DRAC sous l’autorité de Mr Robert Jourdan, la CAOA de Vaucluse et Mr Alain Breton, son conservateur, le travail d’inventaire, de propositions à la protection Monuments Historiques. (63 objets et œuvres de la Métropole, viennent d’être classés  ! ). Un prochain train est programmé. 

Les grandes campagnes d’entretien et de valorisation du patrimoine sont prometteuses, comme la remise en place des œuvres peintes prévue cette année et l’année prochaine  ; la future reprise du trésor, dans l’esprit de la dernière parution nationale. La Métropole y figure déjà en bonne place. 

Dans ces remerciements, je crains son froncement de sourcils à la citation du nom de Mme Blandine Silvestre, conservatrice déléguée des Antiquités et œuvres d’art de Vaucluse. Mais la reconnaissance rend quelquefois imprudent  ! Il faut quand même dire que les petites mains discrètes ont leur efficacité, oh  ! Combien indispensable  ! 

C’est l’entreprise Gilles Tournillon, de sainte Cécile les Vignes, qui a réalisé la délicate opération de décrochage de l’œuvre de sa place originelle, son déplacement sécurisé, le remontage à la métropole, la présentation sur chevalet, avant le raccrochage final. Nous devons saluer cette équipe, sa compétence, son savoir-faire, son humanité, ainsi que Mme Marina Weissman et Armelle Demongeot-Segura, restauratrices du patrimoine, qui ont procédé aux premières mesures conservatoires. 

À cette occasion, l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine, sous la direction de Mr JB Boulanger architecte des bâtiments de France et le suivi de Mr Olivier Fabiani, technicien des services culturels, a programmé la reprise et la sécurisation de la baie au dessus de l’œuvre. Il restera à installer un nouvel éclairage, sécuriser les œuvres au moyen d’une lice et dégager complètement l’espace de circulation. Mais n’avons-nous pas parlé de «  Collaboration  »  ? 

L’entreprise Jeux de Lumière, et son directeur Mr Serge Duckit ont assuré un éclairage provisoire de l’œuvre et de la chapelle, annonciateur de l’éclairage définitif, devenu indispensable. 

À titre personnel, je me permets de saluer respectueusement celui que le frère Samuel a heureusement invité pour cette soirée : Mr Didier Repellin, architecte en chef, qui a conduit le chantier de restauration de la Basilique, pendant plus de deux ans. L’expérience et la compétence, dans les difficultés comme dans les réussites, en ont fait une entreprise unique, inoubliable avec comme conséquence, une amitié qui pour s’être manifestée sur les échafaudages, n’en est que mieux assurée aujourd’hui. En tout cela, il y a eu une belle touche de cette humanité qui facilite tant les relations, délicates, quelques fois entre les différentes entreprises, les artisans et les techniciens, les hommes. Je suis sûr que cet état d’esprit a du toucher Celui et Celle pour lesquels cette maison de prière a été construite.

D’autres aventures patrimoniales se profilent déjà, à la Métropole, pour le bien des fidèles et d’un public toujours aussi nombreux. Le message muet mais bien réel de ce haut lieu classé au patrimoine universel, continue de se diffuser. A tous les acteurs cités plus haut de continuer à en faciliter la conservation, l’accueil et la compréhension  ! Voilà qui nous promet quelques autres soirées patrimoniales  !


Le chanoine Daniel Brehier et le Chapitre métropolitain.